Dimanche le 15 août 1999,

Les racines du coeur,

voilà où prend naissance notre langue maternelle cher Hibou ôô ...   Et, comme tu dois te douter, c'est un endroit plutôt profond et très délicat.   On ne l'appelle d'ailleurs pas «langue maternelle» à la légère.  C'est la langue parlée par notre premier objet d'amour.  Nos premiers mots d'amour, nos premières découvertes, nos premiers encouragements pour nos premiers (tout petits) pas vers l'autonomie, ont été formulés dans ce chaud et doux langage.

    C'est donc, au départ, très conforme à notre humanitude d'y conserver un attachement et ce, même si on cesse un jour de l'utiliser, pour une raison ou une autre, dans notre vie quotidienne(ce qui arrive parfois...)  Voilà le portrait au départ...   Ensuite, on grandit, de notre mieux, où l'on peut, avec les moyens qu'on a...   Mais ces empruntes sont gravées, tatouées même, à la base de ce que nous sommes.

    Ensuite, tout dépend de ce que nous vivons «culturellement».  Ici, Hibou, pour une majorité de «québécois», la langue maternelle est le français(je pense que toi tu appellerais ça une version transatlantique du chouettois;)  Jusque là, rien de bien surprenant.   Mais , là où ça se corse, c'est que nos habitons un tout petit îlot «francophone» dans un très grand(vraiment très grand) océan«anglophone»...

    Un peu comme au pays des oiseaux de nuit, que tu décrivais hier, sauf que tu imagines qu'il n'y a que deux sortes d'oiseaux: Une très répandue et nombreuse et l'autre, surtout concentrée dans une partie bien délimitée du territoire et bien que nombreuse, beaucoup moins que la première et très isolée...  Et là, voilà que par dessus tout cela, s'ajoute que la sorte d'oiseaux plus nombreuse se met à imposer, de par sa majorité économique, à tous les oiseaux, toutes origines confondues, de commercer et de travailler et presque de vivre dans la langue de ces derniers...

    Pas facile, puisque, attaché à sa première langue par les racines du coeur, il nous faut maintenant affronter son dénigrement et la défendre.  Cette langue dans laquelle on a grandi, devient soudainement insuffisante pour assumer la vie quotidienne et pour gagner sa vie...   Que l'on se comprenne bien, il est merveilleux et enrichissant de siffler sur tous les tons, de chanter sur tous les airs et de pouvoir découvrir le monde dans toutes ses nuances grâce aux langues, d'échanger avec tous les types d'oiseaux, rares ou communs, qui croiseront notre chemin...

    Ce qui est moins acceptable, c'est de ne pouvoir fonctionner à plein dans sa propre langue maternelle en plein coeur de son territoire, près de nos racines.  De plus, c'est de se sentir inadéquat dans ses activités économiques et culturelles sans la possession parfaite de cette langue dominante...  Car il s'agit bien, à mon avis, de jeux de pouvoirs au delà de nos têtes, du plaisir d'avoir raison et surtout, tristement, de ce grand besoin de tout rendre semblable et identifiable facilement, de pouvoir coller des étiquettes sur tout, et de ne rien laisser être différent et inconnu... :(

    On a souvent dit que les québécois avaient un attachement émotif presqu'exagéré à leur langue maternelle...  On comprendra ici qu'à force de la maltraiter, cette langue maternelle a fini par susciter des défenses naturelles et des convictions qui n'auraient peut-être pas surgi si on l'avait toujours respectée... Est-ce une bonne chose?   Dur à dire...  Mais une chose est certaine, cette langue, enracinée au plus profond de nous, gagne à être choyée et nourrie car sa vigueur parle de la nôtre, enchevêtrée qu'elle est dans ce que nous sommes de plus profond...  En fait, bien la parler, la chanter, l'écrire, équivaud sans doute à se donner comme individu d'abord, puis, comme collectivité, les conditions de vie nécessaires à l'épanouissement et à la croissance ainsi que la chance d'aller au bout de soi et de nous...:)

   Ouf...  Quelle envolée( sans jeu de mot Hibou;)...  Et, comme c'est complexe et délicat de parler de langue et de culture ici...  Je suis presqu'inquiète de publier cette page...   On va l'adorer ou la détester...  Très bien, que cela soit, ce que j'ai écrit je le pense...:)  Merci, Hibou ôô de la lointaine forêt, de m'avoir permis cette réflexion périlleuse et passionnante...   Toujours un plaisir de t'accueillir ici. Hum...  Dans un tout autre ordre d'idée,pas que ce soit très important(un tout petit peu quand même...;) mais, saviez vous que dans une semaine exactement, ce sera mon anniversaire?...  Hum...   Comme le temps passe rapidement, vous ne trouvez pas vous?  À bientôt,

                                                                                                            L'insomniaque :)