Journal d'une
insomniaque
Le samedi 14 août 1999,
Le chouettois,
vous connaissez ?
Aujourd'hui j'aimerais vous parler de la langue dans le pays des oiseaux nocturnes. Pas de la langue dans notre bec, non, mais de notre "parler", qui varie énormément selon nos espèces : la chouette a un langage totalement étranger à celui du grand-duc, et que dire de la différence d'idiomes entre l'effraie et la hulotte pour ne citer que ces congénères ?
A une époque, tous ces oiseaux ont décidé de se regrouper, d'unir leurs efforts afin de mieux assurer la protection de leurs territoires plutôt que se combattre sans cesse entre eux. Mais très vite, le problème de la langue s'est posé Il a alors été décidé un peu arbitrairement que le chouettois deviendrait leur dialecte commun afin de gagner en rapidité et en fiabilité de communication. Mais pour la vie quotidienne, on utilisait plus facilement la langue locale, normal, c'est celle qu'on avait apprise ! Ainsi, on pouvait sans difficulté entendre parler qui le hibouyou, qui le grand-duchien, qui l'hulottois, Toutes ces sonorités tintaient comme des clochettes aux oreilles, les plus adroits allant même jusqu'à mixer des patois entre eux, qu'ils aient été officiels ou non importait peu !
Mais vint le jour (ou plutôt la nuit ;) où les rapaces qui nous gouvernent s'effrayèrent de cela (Ah, vous ignoriez que nous étions des rapaces ?). Ils décrétèrent que, si nous voulions éviter l'éclatement du pays, il fallait coûte que coûte que le chouettois soit non seulement commun, mais aussi et surtout unique Exit tous les langages régionaux, seul le commun devait servir à dire "bonjour", "merci" ou "je t'aime", lui seul devait être enseigné au nom de l'unité et de l'indivisibilité du pays des oiseaux nocturnes Terminé les enseignes rédigées en hulottois, les pancartes en hibouyou, tout devait désormais être présenté en chouettois. Et malheur à l'oiseau transgressant cette loi, il était susceptible d'être poursuivi sur-le-champ !
D'abord, les oiseaux les plus anciens perdirent leurs repères, ce fameux arbre nommé "Traomar" en hulottois devenait tout à coup "Marronnier" en chouettois, et ainsi de suite. Face au désarroi de leurs aînés, les plus fougueux des jeunes réagirent en prenant véritablement "en grippe" le chouettois qui apparaissait à leurs yeux comme le symbole s'opposant à ce que les anciens leurs avaient appris. Très vite, le ton monta et les tensions s'avivèrent, déplaçant à l'occasion le débat sur des sujets n'ayant rien à voir avec la langue. Autrement dit, on avait obtenu le résultat exactement inverse de celui souhaité !
Si je vous raconte cela, c'est qu'il s'est produit quelque chose d'un peu similaire de ce côté-là de l'Atlantique dernièrement. Il était demandé à l'état français de ratifier un texte de l'UE (Union Européenne) sur le respect des langues régionales notamment en promouvant leur enseignement. La présidence a refusé arguant que ratifier un tel texte revenait à mettre en péril l'indivisibilité de la République. Heureusement, votre Hibou ôô n'en est pas à un raccourci près, nous n'en sommes donc pas à ce scénario catastrophe évoqué plus haut Il n'empêche que dans les régions où la culture locale est un sujet assez sensible, cette attitude risque de renforcer davantage les gens dans leur frustration.
C'est bizarre mais je crois que la paix et la sérénité ne peuvent s'acquérir que lorsqu'on décide d'accepter VRAIMENT l'autre dans sa différence Il est primordial d'être sur un pied d'égalité pour vouloir aller plus loin dans l'échange ! Avec tout ça, j'ai l'impression que certains de nos gouvernants n'ont pas encore compris ce que l'Histoire des hommes nous enseigne Je trouve cela non seulement affligeant mais surtout inquiétant
Je vous souhaite bien du bonheur dans vos chaumières et en toutes les langues s'il vous plaît !
Le Hibou ôô ôô
Hum... La langue, cher hululeur... Tout un sujet à aborder, j'en ai d'ailleurs long à te répondre car ici, au Québec, la langue c'est également un sujet inépuisable et passionnant.. Tu dois le savoir:) Mais je prends le temps de bien rassembler mes mots et mes idées et je te reviens très bientôt là dessus...
L'insomniaque :)